Un joyau : "Monnaie de verre" de Frédéric Grolleau, Paris, Nicolas Philippe, 2002.
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Un joyau : "Monnaie de verre" de Frédéric Grolleau, Paris, Nicolas Philippe, 2002.
"Murano, 1672 : le vacarme qui règne dans les ateliers de verrerie couvre les chuchotements des conspirateurs, le râle des mourants et les soupirs des amants " : promet le quatrième de couverture raccoleur. Comme souvent le paratexte (tout ce qui entoure le texte proprement dit : titre, préface, quatrième de couverture, jaquette... cf Gérard Genette, Seuils, Paris, Seuil, 1987) est trompeur. Ici, le propos suggère une publicité de bazar, un terre écrit à la hâte, une pâle compilation de clichés. Rien n'est plus faux.
Cet ouvrage (s'agit-il d'un roman, d'une étude historique, d'un essai philosophique ?) est une ode à l'écriture, au travail de l'écrivain qui accorde à son sujet et à la création une patience et un soin inouïs. L'intrigue est centrée sur la vie de Léonora, issue d'une longue dynastie de maîtres-verriers, les Neri. A travers son parcours en marge du giron familial comme de la République de Venise, c'est l'éclipse muranaise au profit de pôles verriers plus dynamiques comme la Bohème et la Lorraine dès le XVIIème siècle (au siècle suivant, est fondée la magnifique verrerie de Baccarat) qui est évoquée. Femme, muranaise et citoyenne de Venise, Leonora vit cette lente réclusion de Murano et de Venise sur elles-mêmes. Ce livre, qui pourrait trouver au petit écran sinon dans les salles obscures, une magnifique adaptation (rêvons un peu), a la saveur d'une épure savamment construite où le lecteur impavide chevauchera, haletant, sur la croupe du destrier échu à Léonora et trouvera, au terme de sa lecture, un havre de réflexion assez érudit où les annotations consacrées à l'histoire de la monnaie (romaine, byzantine, vénitienne, muranaise) ou au verre (des murrines au cristal de Bohème) lui apporteront des enrichissements très étayés. Du texte au suspense haletant, la construction limpide, au style irréprochable ou de l'appareil de notes, très dense, le bibliophile pourra avec délices plonger dans ses souvenirs ou dans son antre pour extraire de la pénombre quelques autres glossaires.
C'est en effet ici, hélas, hélas, hélas, que les critiques fusent : le travail de l'éditeur a été bâclé, sans doute en raison de contraintes financières (à sa parution, le prix du livre était de 19,50 euros, ce qui reste raisonnable en grand format). Point de carte pour situer Altare, Savone et autres étapes du périple de Léonora, point de chronologie récapitulative et thématique pour donner au grand public quelques bribes immédiatement accessibles, point de notes supplémentaires pour éclaircir quelques points un peu abscons comme "les ayyoubides", point de planches d'illustrations concernant l'atelier du maître-verrier. Quelques coquilles aussi : fondamenta Sebastiano Nevier au lieu de fondamenta Sebastiano Venier. Quelques impairs un peu plus conséquents : mention est faite du Ponte degli Scalzi au XVIIème siècle, Charlemagne est accolé au début du VIIème siècle !!!
Ces scories n'enlèvent que fort peu à la valeur de l'ouvrage mais illustre les difficultés d'un auteur débutant à trouver un éditeur confirmé comme le Seuil ou Gallimard, qui le méritait tout autant que Jonathan Littell. Cette frilosité éditoriale qui consiste à ne composer un catalogue qu'à partir de valeurs sûres en confinant le risque à quelques timides tentatives ramène la prise d'audace vers des maisons d'édition plus petites (Agone), régionales (comme Actes Sud) ou confidentielles (Nicolas Philippe). Moins que l'éditeur qui a pris le risque entrepreneurial de publier son livre (ce qui est en soi estimable), il faut ici stigmatiser les étranges logiques d'une industrie culturelle qui au rythme des regroupements, concentrations, pressions sur les libraires et distribution forcée ou aléatoire, c'est selon, a trop bien assimilé celles de l'économie de marché.
Cet ouvrage (s'agit-il d'un roman, d'une étude historique, d'un essai philosophique ?) est une ode à l'écriture, au travail de l'écrivain qui accorde à son sujet et à la création une patience et un soin inouïs. L'intrigue est centrée sur la vie de Léonora, issue d'une longue dynastie de maîtres-verriers, les Neri. A travers son parcours en marge du giron familial comme de la République de Venise, c'est l'éclipse muranaise au profit de pôles verriers plus dynamiques comme la Bohème et la Lorraine dès le XVIIème siècle (au siècle suivant, est fondée la magnifique verrerie de Baccarat) qui est évoquée. Femme, muranaise et citoyenne de Venise, Leonora vit cette lente réclusion de Murano et de Venise sur elles-mêmes. Ce livre, qui pourrait trouver au petit écran sinon dans les salles obscures, une magnifique adaptation (rêvons un peu), a la saveur d'une épure savamment construite où le lecteur impavide chevauchera, haletant, sur la croupe du destrier échu à Léonora et trouvera, au terme de sa lecture, un havre de réflexion assez érudit où les annotations consacrées à l'histoire de la monnaie (romaine, byzantine, vénitienne, muranaise) ou au verre (des murrines au cristal de Bohème) lui apporteront des enrichissements très étayés. Du texte au suspense haletant, la construction limpide, au style irréprochable ou de l'appareil de notes, très dense, le bibliophile pourra avec délices plonger dans ses souvenirs ou dans son antre pour extraire de la pénombre quelques autres glossaires.
C'est en effet ici, hélas, hélas, hélas, que les critiques fusent : le travail de l'éditeur a été bâclé, sans doute en raison de contraintes financières (à sa parution, le prix du livre était de 19,50 euros, ce qui reste raisonnable en grand format). Point de carte pour situer Altare, Savone et autres étapes du périple de Léonora, point de chronologie récapitulative et thématique pour donner au grand public quelques bribes immédiatement accessibles, point de notes supplémentaires pour éclaircir quelques points un peu abscons comme "les ayyoubides", point de planches d'illustrations concernant l'atelier du maître-verrier. Quelques coquilles aussi : fondamenta Sebastiano Nevier au lieu de fondamenta Sebastiano Venier. Quelques impairs un peu plus conséquents : mention est faite du Ponte degli Scalzi au XVIIème siècle, Charlemagne est accolé au début du VIIème siècle !!!
Ces scories n'enlèvent que fort peu à la valeur de l'ouvrage mais illustre les difficultés d'un auteur débutant à trouver un éditeur confirmé comme le Seuil ou Gallimard, qui le méritait tout autant que Jonathan Littell. Cette frilosité éditoriale qui consiste à ne composer un catalogue qu'à partir de valeurs sûres en confinant le risque à quelques timides tentatives ramène la prise d'audace vers des maisons d'édition plus petites (Agone), régionales (comme Actes Sud) ou confidentielles (Nicolas Philippe). Moins que l'éditeur qui a pris le risque entrepreneurial de publier son livre (ce qui est en soi estimable), il faut ici stigmatiser les étranges logiques d'une industrie culturelle qui au rythme des regroupements, concentrations, pressions sur les libraires et distribution forcée ou aléatoire, c'est selon, a trop bien assimilé celles de l'économie de marché.
condorcet- Nombre de messages : 2531
Date d'inscription : 03/03/2008
Re: Un joyau : "Monnaie de verre" de Frédéric Grolleau, Paris, Nicolas Philippe, 2002.
Une lecture d'été possible.
Au fait, avez-vous remarqué comme de telles rubriques se multiplient dans les journaux ?
C'est que les éditeurs diffèrent les parutions à la rentrée littéraire et font tourner le catalogue....
Au fait, avez-vous remarqué comme de telles rubriques se multiplient dans les journaux ?
C'est que les éditeurs diffèrent les parutions à la rentrée littéraire et font tourner le catalogue....
condorcet- Nombre de messages : 2531
Date d'inscription : 03/03/2008
Re: Un joyau : "Monnaie de verre" de Frédéric Grolleau, Paris, Nicolas Philippe, 2002.
en fait, monnaie de verre qui date déjà de 2002 est un produit de l'édition internet, ce qui explique certaines imperfections?
http://www.fredericgrolleau.com/pages/Monnaie_de_verre-660776.html
http://www.fredericgrolleau.com/pages/Monnaie_de_verre-660776.html
Re: Un joyau : "Monnaie de verre" de Frédéric Grolleau, Paris, Nicolas Philippe, 2002.
Reste le plaisir éprouvé à la lecture de ce livre.
condorcet- Nombre de messages : 2531
Date d'inscription : 03/03/2008
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